Droit du sport,
Un employeur peut-il suspendre le salaire d’un moniteur sportif qui ne remplit pas l’obligation d’honorabilité
Par Guillaume GHESTEM, Avocat, et Victoria DREZE, Juriste.
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Par arrêt en date du 18 janvier 2024, la Cour d’appel de PAU a jugé, suite à une procédure en référé, que lorsqu’un moniteur de sport salarié fait l’objet d’une interdiction d’exercice de sa profession, son employeur peut démontrer l’existence d’une contestation sérieuse de son obligation de fournir un travail et de rémunérer son salarié. L’employeur peut ainsi faire échec aux demandes de provisions formulées devant la formation de référé par le moniteur pour non-paiement des salaires au cours la période d’interdiction d’exercice.
Le 1er septembre 2017, un club de surf avait engagé un moniteur dans cette spécialité en CDI intermittent.
La profession de moniteur de sport est une profession réglementée par le Code du sport, notamment quand elle exercée contre rémunération.
D’une part, l’article L212-1 du Code du sport prévoit que seules des personnes possédant certains diplômes listés peuvent enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive contre rémunération. Il y a donc une obligation de qualification qui repose sur les éducateurs, encadrants et moniteurs sportifs.
D’autre part, l’article L212-9 du Code du sport impose à ceux qui souhaitent enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive de ne pas avoir été condamnés pénalement pour un crime ou certains délits listés. Le harcèlement moral fait partie des délits entravant l’enseignement, l’animation ou l’encadrement d’une activité physique ou sportive. Ainsi, les éducateurs, encadrants et moniteurs sportifs doivent répondre à une obligation dite « d’honorabilité ».
Pour assurer aux employeurs cette honorabilité, les fédérations françaises sportives dont dépendent l’encadrant en question lui délivre une carte professionnelle. Cette carte doit être renouvelée tous les 5 ans par l’éducateur. A chaque délivrance d’une carte professionnelle, la fédération de tutelle doit contrôler plusieurs éléments, notamment les qualifications et l’honorabilité de l’éducateur.
Dans les faits d’espèce, il est précisé que le moniteur de surf engagé par le club a été condamné le 7 juillet 2020 par le Tribunal correctionnel de BAYONNE pour harcèlement moral à l’encontre de deux de ses anciennes concubines.
Le moniteur n’a pas informé son employeur de cette condamnation.
Il possédait une carte professionnelle délivrée en 2017 et valable jusqu’au 24 octobre 2022. Ainsi, avant que ne soit formulée la demande de renouvellement par l’éducateur, le club employeur n’avait pas la possibilité d’avoir connaissance de cette condamnation compte tenu de la déloyauté de son moniteur.
En janvier 2022, le club a eu connaissance de l’interdiction d’exercice s’imposant à son salarié. En réaction à cette interdiction, le club a décidé d’arrêter de fournir un travail au moniteur et de suspendre le versement de son salaire.
Le 7 avril 2023, la fédération française de surf a engagé des poursuites disciplinaires à l’encontre du moniteur interdit d’exercice, notamment pour non-respect de cette interdiction.
Le moniteur a saisi la formation de référé du Conseil de prud’hommes de BAYONNE pour contester la décision de son employeur et demander, à titre provisionnel, des rappels de salaires. Le Conseil de prud’hommes a fait droit à ses demandes.
Le club a interjeté appel de cette décision et obtenu gain de cause. En effet, la Cour d’appel a reconnu qu’il existait une contestation sérieuse quant à l’obligation pour le club de fournir une prestation de travail et de rémunérer un salarié qui était sous le coup d’une interdiction d’exercice de sa profession (CA Pau, 18 janvier 2024, n°22/03301).
Cette décision doit être contrastée car elle ne concerne que la compétence ou non de la formation de référé pour traiter du litige et non une vraie solution quand au fond du problème de droit soulevé. Cependant, elle laisse présager qu’un club employeur puisse refuser de maintenir en poste et de rémunérer un moniteur salarié interdit d’exercer cette profession. La question sera de savoir si cette possibilité se traduit par une suspension de la fourniture de prestations de travail et du versement de la rémunération ou si l’employeur pourra se servir de cette interdiction d’exercice pour licencier le salarié.
A titre d’exemple, il a déjà été jugé qu’un club employeur pouvait licencier un éducateur sportif salarié dont la carte professionnelle a été retirée par sa fédération de tutelle. La Cour d’appel avait jugé que l’absence de titre professionnel justifiait le licenciement (CA Aix-en-Provence, 10 février 2015, n°11/18433).
Attention toutefois, cette absence de qualification professionnelle ou la perte de l’honorabilité n’est pas considérée comme une faute du salarié, le licenciement ne sera donc pas fondé sur une faute grave et ne sera pas privatif de l’indemnité de licenciement, mais seulement de l’exécution et du paiement du préavis.
Nous conseillons ainsi aux clubs employeurs d’insérer une clause relative aux obligations d’honorabilité et de qualification au sein du contrat de travail et de prévoir une obligation de communication de la carte professionnelle à toute demande de l’employeur.
Rappelons qu’un salarié qui encadre une activité physique ou sportive en violation d’une interdiction d’exercice encourt des sanctions pénales et administratives (jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende). De son côté l’employeur d’un éducateur sportif sans diplôme peut voir ses responsabilités pénales (Cass. Crim., 7 octobre 1998, n°97-85.336) et civiles engagées (CA Douai, 21 juin 2012, n°10/08828).