Droit du sport,
Réflexion autour du statut des ramasseurs de balles
Par Guillaume GHESTEM, Avocat, et Victoria DREZE, Juriste
Photo by Armand Khoury on Unsplash
Le sport, notamment en France, repose sur un socle bénévole considérable. Sans les bénévoles, les clubs, tels qu’ils sont structurés aujourd’hui, ne peuvent pas proposer d’évènements sportifs. Selon le CNOSF, les 175 000 associations sportives françaises sont animées par 3 millions de bénévoles. Parmi ces bénévoles se trouvent, au football, au rugby, au tennis et dans d’autres sports, des ramasseurs de balles.
Il sont souvent mineurs et ont pour tâches de récupérer balles sorties du jeu. Il arrive fréquemment que, pour les besoins du jeu, les ramasseurs de balles se voient imposer certaines obligations qui peuvent venir heurter le statut de bénévole et présenter des risques considérables pour les associations.
Le bénévole est couramment défini comme une personne qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps professionnel et familial (Avis du Conseil économique et social du 24 février 1993). Cette définition du bénévole a permis l’extraction de plusieurs conditions à la qualification d’une activité comme étant bénévole.
- Le bénévole ne doit pas percevoir de rémunération pour son activité, ni en espèce, ni en nature, mais seulement le remboursement des frais qu’il a engagé dans le cadre de ladite activité bénévole.
- Le bénévole ne doit pas être sous lien de subordination avec l’association pour laquelle il accomplit son activité. Cela signifie qu’il ne reçoit pas d’ordre et ne peut pas être sanctionné, sous réserve des manquements aux statuts et au règlement intérieur de l’association s’il est adhérent. La participation du bénévole doit également être volontaire.
Pour l’instant, aucun statut n’est véritablement défini pour les ramasseurs de balles.
A titre d’exemple, en football, la seule mention qui est faite aux ramasseurs de balle au sein du règlement des compétitions de la LFP figure à l’article 534. Ce dernier expose que les clubs visités doivent sélectionner une équipe de ramasseurs de balle licenciés de la FFF et que ces derniers doivent être présents au stade 1h30 avant le coup d’envoi de la rencontre. Un délégué doit ensuite leur rappeler les consignes du dispositif de ballons multiples.
Le titre de ramasseur de balles étant tellement attractif et espéré des jeunes fans, qu’il fait l’objet de concours ou de jeux pour décrocher le précieux sésame. Par exemple, le Lou rugby proposait en février dernier un tirage au sort afin que 4 abonnés du club deviennent ramasseurs de balles le temps d’un match pour la réception du Stade toulousain. De son côté, RTL, en partenariat avec la FFF, permettait à ses auditeurs de jouer pour devenir ramasseurs de balles lors du match France – Roumanie de 2009.
Les ramasseurs de balle qui occupent les bords des terrains de football, de rugby ou les courts de tennis sont donc actuellement considérés comme des bénévoles par les clubs sportifs. Plusieurs difficultés juridiques ressortent de cette qualification :
1. L’absence de rémunération
Comme exposé précédemment, un bénévole ne peut pas être rémunéré pour son activité, ni en espèce, ni en nature.
Pourtant, il est fréquent que les ramasseurs de balles soient « récompensés » pour leur action. Par exemple, les « ballos » de Rolland Garros sont récompensés par les partenaires de l’évènement. Ils conservent notamment leur équipement de ramasseur de balles et bénéficient d’un accès sur le bord de court pour assister aux rencontres.
Attention, notre propos n’est pas de dénoncer ces contreparties qui nous semblent légitimes mais d’attirer l’attention sur les risques encourus.
Tous ces avantages sont des récompenses qui, en cas de contrôle, pourraient être requalifiés en rémunération et donner une indication quant à la présence d’une relation de travail et donc d’un contrat de travail. Une telle requalification entrainerait d’énormes conséquences pour les associations, notamment au regard de la législation sur le travail des mineurs.
2. L’absence de lien de subordination
Il est de jurisprudence constante que lorsqu’un bénévole se voit imposer des missions et des horaires précis, déterminés de manière unilatérale par l’association, la relation de bénévolat est requalifiée en salariat (Cass. soc., 20 décembre 2017, n°16-20.646). Le bénévole doit donc conserver une grande autonomie dans l’exécution de sa mission et dans son organisation, tout en respectant certaines directives, notamment celles justifiées par des impératifs de sécurité.
En l’espèce, les ramasseurs de balles ne possèdent aucune liberté, notamment lors du tournois de Rolland Garros.
Les « ballos » ne peuvent pas avoir d’échanges avec les joueurs. Ils sont même évalués par des coachs, qui sont d’anciens ramasseurs de balles. Un ancien « ballos » témoignait qu’il devait être bon techniquement mais aussi dans leur attitude, qu’il devait respecter le règlement s’il espérait officier jusqu’en finale : « Nous n’avons pas de contacts, d’échanges avec les joueurs, nous n’avons pas le droit de faire signer des autographes ou de prendre des photos. On doit se tenir bien droit sur le court, rester silencieux ». Ce coaching des ramasseurs de balles tant à se généraliser. L’En-Avant Guingamp a, depuis près de vingt ans, 3 bénévoles dédiés à la surveillance des jeunes ramasseurs de balle et à leur formation.
Les obligations et interdictions qui sont imposées aux ramasseurs de balles ne sont pas seulement des mesures de sécurité, elles vont plus loin. L’association qui les « engage » possède également un véritable pouvoir disciplinaire à leur encontre. Certaines n’hésitant pas à les expulser ou à les remplacer au moindre écart de conduite.
Si la question du statut de ces jeunes ramasseurs se posait devant les tribunaux, notamment devant le Conseil des Prud’hommes, l’ensemble de ces éléments servirait à démontrer, par le biais d’un faisceau d’indices, l’existence d’un véritable lien de subordination juridique. La rémunération étant également présente, il ne resterait que l’existence d’une prestation de travail à démontrer. Cette prestation est simple à prouver, les ramasseurs de balles sont présents à chaque rencontre et peuvent constituer en un emploi permanent et récurant (au moins un week-end sur deux en football pendant la saison).
La subordination semble être caractérisée pour les ramasseurs de balles de Rolland Garros. Ils sont formés, mais surtout sélectionnés. La sélection des « ballos » se fait par le biais d’un processus encore plus complexe que le recrutement d’un salarié. Ils doivent participer à une première journée de sélection avant d’espérer intégrer un stage de formation régional et enfin être retenu « parmi les meilleurs du stage pour participer au tournoi ».
Concernant les horaires, ils sont également imposés par l’organisateur. La LFP impose une présence des ramasseurs au moins 1h30 avant le coup d’envoi et la FFT impose aux siens de ne pas aller à l’école et de venir le premier jour pour récupérer les tenues, le second pour découvrir les coulisses de l’évènement, et les jours suivants d’être présent, toute la journée y compris le diner, à Rolland Garros.
3. Le bénévolat pour un organisme à but non lucratif
En principe, le bénévolat n’est possible qu’à destination d’un organisme à but non lucratif, tel qu’une association loi 1901. Si cette condition ne pose pas véritablement de problème pour Rolland Garros qui est organisé par la FFT, elle peut en soulever pour les sports collectifs. En effet, que ce soit en Ligue 1, en Ligue 2, en Top14 ou en ProD2, les clubs sont structurés en sociétés commerciales pour leur secteur professionnel.
Par conséquent, l’organisation des matchs de l’équipe professionnelle relevant de la compétence de la société sportive et non de l’association-support, il ne devrait pas y avoir de bénévolat lors de ces évènements.
Pour le moment, aucune instance ne s’est penchée sur le sujet et aucune condamnation ou aucun redressement URSSAF n’a été prononcé sur ces « bénévoles ». Toutefois, les clubs doivent garder à l’esprit que recourir au bénévolat lorsque l’organisation d’un évènement est portée par une société est une entreprise risquée.
Ce raisonnement s’applique parfaitement aux ramasseurs de balles, personnel dont la présence est imposée, notamment en Ligue 1 et Ligue 2.
Une autre conséquence pourrait résulter de la présence de bénévoles lors des rencontres des équipes professionnelles. Il pourrait être considéré que l’association participe à l’organisation d’évènements lucratifs, ce qui entrainerait un assujettissement de l’association aux impôts commerciaux, ou qu’elle met ses bénévoles à disposition de la société à titre gracieux, alors que la mise à disposition de bénévole n’est autorisée par aucun texte et pourrait être regardé comme du prêt de main d’œuvre illicite.
Par conséquent, même si les associations surfent sur l’engouement des jeunes qui rêvent d’être au bord de la pelouse ou du court pour approcher leurs idoles, elles doivent veiller à ne pas imposer des obligations dépassant le cadre d’une activité volontaire et libre.