Essentiel Avocat Sport

Droit du sport,

JOP 2024, les chambres universitaires peuvent-elles être réquisitionnées ?

Par Guillaume GHESTEM, Avocat, Victoria DREZE et Cassandra MARTIN, juristes.

Photo de Dave Kim sur Unsplash

Le Tribunal administratif de Paris, dans son ordonnance de référé rendue le 31 août 2023, a suspendu la décision du CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) de Paris de réquisitionner les logements universitaires. Cette réquisition avait pour objet leur location au Comité d’organisation des Jeux Olympiques (COJO) pour les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024.

Un courrier électronique a été adressé aux étudiants bénéficiant d’un logement en résidence universitaire pour l’année universitaire 2022-2023. Les étudiants ont été informés que, pour l’année 2023-2024, le terme de leur droit d’occupation des logements serait fixé au 30 juin 2024 au lieu de bénéficier d’un contrat de location d’une durée d’un an.

Une association a déposé une requête en annulation de cette décision administrative. A la suite de cette requête, il a été possible de recourir à une procédure d’urgence. Le référé-suspension[1] permet au juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administration avant de pouvoir trancher sur son annulation.

Pour ce faire, deux conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Lorsque l’urgence justifie une telle décision de suspension ;
  • Lorsqu’il est fait état d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision administrative.

L’ordonnance rendue le 31 août 2023 a été rendue sur ce fondement. Il reste cependant nécessaire de statuer sur la requête en annulation (le fond de cette affaire).

  1. L’urgence justifiant la suspension de la décision du CROUS de Paris.

L’urgence s’apprécie in concreto de manière objective et globale.

Doivent être mis en balance les intérêts invoqués par le CROUS de Paris et ceux invoqués par l’association requérante.

L’association soutient que les étudiants bénéficiant d’un logement en résidence universitaire s’engagent à respecter le terme de leur bail fixé au 30 juin 2024. En effet, ils doivent contresigner leur contrat de location avant d’entrer dans leur logement et ce, sans qu’aucun élément ne puisse les assurer de pouvoir modifier ce terme.

Le juge des référés suit l’argument de l’association et considère que l’exécution de la décision du CROUS de Paris porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, aux intérêts des étudiants qui sont ainsi placés dans une situation de précarité et d’incertitude sur leur capacité à se loger durant l’été 2024.

En défense, le CROUS de Paris soutient que l’urgence n’est pas justifiée en raison de l’intérêt public que constitue la garantie de pouvoir organiser, en toute sécurité, des Jeux Olympiques.

En effet, selon le CROUS de Paris, une annulation tardive de leur décision compromettrait la location des logements au COJO et la bonne organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques.

Sur cette balance des intérêts, le juge des référés considère que l’intérêt public justifie l’urgence à trouver une solution alternative légale. Ainsi, la première condition nécessaire afin de fait droit à la suspension de la décision du CROUS est remplie.

  • Un doute sérieux caractérisé quant à la légalité de la décision du CROUS de Paris

Plusieurs points sont soulevés et permettent de caractériser un doute concernant la légalité de la décision du CROUS de Paris.

  • La question de la compétence de l’auteur : un doute sérieux sur la légalité de la décision

La loi du 26 mars 2018 relative à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 permet la location au COJO des logements destinés aux étudiants et vacants au 1er juillet 2024.

Par ailleurs, les décisions concernant l’attribution des logements destinés aux étudiants sont prises par les CROUS[2]. Les Conseils d’administration des CROUS sont compétents pour régler les affaires de ces centres[3].

En l’espèce, le Conseil d’administration du CROUS de Paris n’a pas adopté de délibération ayant pour objet de limiter de manière générale le droit d’occupation des logements en résidence universitaire des étudiants.

L’argument fondé sur l’incompétence de l’auteur de la décision est propre à créer un doute sérieux sur sa légalité.

  • La question d’un détournement de pouvoir : un doute sérieux sur la légalité de la décision

Les baux des logements en résidence universitaire ont une durée maximale d’un an[4]. Les CROUS sont compétents pour attribuer ces logements aux étudiants. En effet, ils contribuent à la mise en œuvre de la politique nationale de vie étudiante en proposant les prestations et les services propres à améliorer les conditions de vie et d’étude.

Sur ce dernier point, les CROUS peuvent adapter et diversifier les prestations proposées pour tenir compte des besoins des usagers (étudiants)[5].

En l’espèce, le juge des référés considèrent que le CROUS ne peut limiter la durée du contrat de location des logements que « pour l’exécution de sa mission de service public, en fonction [des besoins des étudiants] au regard de leur situation personnelle ».

La limitation de la durée des contrats de location conduit à la vacance de l’ensemble des logements au 1er juillet 2024. Ces derniers pourraient ainsi être loués au COJO.

Selon le juge des référés, une telle décision serait entachée d’un détournement de pouvoir et créerait un doute sur sa légalité.

  • La question d’une erreur manifeste d’appréciation : un doute sérieux sur la légalité de la décision

Enfin, l’un des arguments reçus par le juge des référés est relatif à une erreur manifeste d’appréciation. En effet, la décision porterait une atteinte excessive aux droits des étudiants au regard de l’intérêt public que représente la bonne organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques.

En l’espèce, la décision de limiter le droit d’occupation des logements en résidence universitaire concerne la totalité des locataires et des logements en résidence universitaire.

Or, la prévision de location des logements au COJO représente 7% du parc locatif du CROUS. Ce pourcentage est inférieur au nombre de logements habituellement vacants durant l’été.

En conclusion, le CROUS de Paris bénéficie légalement de la possibilité de louer les logements de ses résidences étudiantes lorsque ces derniers sont vacants au 1er juillet 2024.

Il peut ainsi réquisitionner les logements concernés par cette vacance. Toutefois, il semble légitime que le juge administratif fasse droit à la requête en annulation de la décision du CROUS de fixer le terme du droit d’occupation de ses logements au 30 juin 2024.

En effet, même si cette décision avait été adoptée par l’organe compétent (son Conseil d’administration), elle a été prise dans l’unique objet de louer les logements au COJO, en obligeant leur vacance, et cela sans prendre en considération les besoins des étudiants.

Une telle décision va à l’encontre d’une des missions du CROUS consistant en la mise en œuvre de la politique nationale de vie étudiante en proposant les prestations et les services propres à améliorer les conditions de vie et d’étude.


[1] Article L521-1 du Code de justice administrative

[2] Article L822-1 du Code de l’éducation

[3] Article R822-16 du Code de l’éducation

[4] Article L631-12 Code de la construction et de l’habitation

[5] Article R822-9 du Code de l’éducation


Laisser un commentaire